Si dans les années cinquante aux états unis être jeune
signifie être dans une salle d'attente triste, en Angleterre cela
équivaut à être dans une tombe.
Le pays a été durement touché par la guerre et est en pleine
reconstruction. L'économie ne va pas fort et la seule vision d'avenir
pour un adolescent issu de la classe moyenne c'est un ciel gris sur lequel
se découpe des cheminées d'usine.
Heureusement, beaucoup de jeunes anglais on entendu les sirènes du rock
venues de la lointaine Amérique, et pour eux l'appel est irrésistible.
On voit alors surgir d'un peu partout des rockers version anglaise, Tommy Steele,
Terry Dene, Lonnie Donegan. Même s’ils sont tous de pales imitations de leurs
idoles américaines, leur existence prouve qu'en Europe aussi la jeunesse
ressent fortement ce besoin de liberté et en a ras le bol du veto des parents.
Pourtant ce n'est pas un chanteur mais un groupe qui va catalyser les envies et
les aspirations de toute la jeunesse occidentale.
Les Beatles ont eu l'impacte que pourrait avoir une bombe atomique larguée
en plein cœur de la société. Après eux plus rien ne sera comme
avant, aussi bien musicalement que socialement. Ils sont jeunes, drôles,
intelligents et ont du talent à revendre. Bien qu'ils soient fans de la
première heure des idoles américaines du rock, ils ne les imitent
pas et concoctent eux même leurs chansons avec un style brillant et original.
Autant dire qu'avec de tels atouts dans leurs bagages ils ne pouvaient pas rater
leur coup. Tellement, qu’ils réussissent le tour de force de séduire
quasiment tout le monde. Des adolescents hystériques (les filles) et
admiratifs (les garçons) jusqu’au parents qui les trouve certes un peu bruyants
mais tellement charmants. Et quand la reine mère elle même les
décore de l'ordre du NME c'est la consécration, la success
story ultime.
Mais les Beatles sont bien trop intelligents pour se laisser enfermer dans le
rôle des sympathiques chevelus que leur a attribué
l'establishment. Ils ne tarderont pas à ruer dans les
brancards et à s'engager dans la voie de la contre culture, des drogues,
et de la recherche expérimentale.
Le succès phénoménal des fab four va mettre le
feu aux poudres et permettre à des milliers de jeunes musiciens de pousser
eux aussi leur cri primal (Yeah yeah yeah !) sans que la
société n'y trouve quelque chose à redire, enfin... presque.
Parmis eux il y a bien sûr les Rolling Stones qui, à l'inverse des
Beatles, vont jouer la carte de la provocation et de la mauvaise graine et redonner
au rock son coté subversif. Viennent ensuite les Who, les Small Faces,
les Animals, les Kinks etc.. (la liste est longue).
En cette toute première moitié des sixties, on a l'impression
qu'un vent de folie souffle sur la vieille Europe et en particulier sur Londres
qui voit éclore quasiment chaque jour un nouveau groupe de chevelus
bruyants prêt à envahir les charts .
Au même moment aux états unis un petit gars chétif armé
d'une guitare acoustique est sur le point de créer une véritable
révolution.
Bob Dylan n'a rien du pop singer à
la mode, et même si il apprécie (de loin) le son de tous ces groupes
anglais qui viennent régulièrement envahir les états unis,
son truc à lui c'est les mots, la poésie et la revendication.
Ses idoles se nomment Woody Guthrie, Pete Seeger, Jack Kerouac ou encore
Arthur Rimbaud.
A ses débuts Dylan emprunte la voie du protest song
à la Woody Guthrie, puis peu à peu il commence à
développer son propre style, une espèce de folk moderne dans
lequel il décrit la froide réalité américaine à
l'aide d'une imagerie surréaliste.
Sa rencontre avec les Beatles en 1965 va avoir une influence capitale sur la
direction que va prendre le rock. Les fab four, et
particulièrement Lennon qui est en pleine dépression et cherche
désespérément une nouvelle voie musicale, vont voir en Dylan
une réponse à leur attente. A savoir des textes plus fouillés
et plus matures. Fini les paroles simplistes façon She loves you yeah yeah yeah.
Dylan de son coté brûle d'envie de passer au tout électrique,
sa rencontre avec les Beatles va l'aider à franchir le cap, et c'est avec
une Fender Stratocaster et un groupe qu'il se présente au festival folk
de Newport (au cours duquel tous les puristes vont crier à la trahison).
En ce milieu des années soixante, le rock est encore estampillé musique de jeunes et rangé parmis les accessoires du teenager entre la crème anti-acné et le scooter. Mais ce n'est qu'un tour de chauffe. Beaucoup de groupes et de musiciens ont très vite compris que le rock est un fantastique médium par lequel ils peuvent facilement faire part de leurs frustrations et de leurs aspirations ainsi que de celles de toute leur g-g-g-génération. C’est en partit un peu grâce au rock que les vieilles valeurs sclérosées de la société de l'époque ne vont pas tarder à voler en éclat.
De 1965 à 1970 le rock va vivre ses moments les plus forts, sont point
d'orgue. Jamais il n'ira aussi haut ni aussi loin.
Les groupes établis sortent leurs plus beaux joyaux. Les Beatles (Sgt Pepper)
, les Stones (Beggars banquet), les Who (Tommy) sont au sommet de leur art,
et chaque jour voit l'apparition de nouveaux venus toujours plus outrageant,
novateur, sexy : Les Doors, le Jimi Hendrix Experience, Pink Floyd, Jethro Tull,
Led Zeppelin et j'en passe.
Pour l'amateur de rock c'est l'âge d'or,
une époque bénie où il n'y a qu'à se baisser pour
récolter le meilleur nectar.
Il faut dire qu’à cette époque le monde change très vite et
le rock est en prise directe avec lui.
La guerre du Vietnam déchire la nation américaine et donne
indirectement naissance au mouvement hippie qui se développe sur la cote
ouest des états unis.
En France au mois de Mai 1968 une révolution étudiante
éclate à Paris, manquant de peu de faire basculer le pouvoir en place.
Partout, dans la société occidentale souffle un vent de
révolution et de libération.
La jeunesse ne se contente plus
de critiquer ou de railler ses aînés, elle veut en découdre
pour de bon. Elle ne supporte plus cette société hypocrite et
égoïste et entend bien la changer, et c'est à l'unisson
avec Jim Morrison qu'elle crie : We want the world and we want it... NOW !.
Bien sûr c'était naïf de croire pouvoir changer le monde, mais avec
une musique d'une telle qualité qui n'y aurait pas cru ?
1970 marque le début de la fin. Les Beatles se séparent, Janis
Joplin et Jimi Hendrix meurent à même pas un mois d'intervalle
(Brian Jones les a devancé l'année précédente et
Jim Morrison les rejoindra l'année d'après) et l'engouement
général retombe quelque peu. Le mouvement flower power s'essouffle
et fait face à sa propre violence à Altamont.
Bref, ça sent la fin de soirée. Les invités prestigieux sont
presque tous partis mais il reste toujours quelques fêtards qui veulent
encore s'amuser et profiter du buffet.
Certes, le rock a encore de beaux jours devant lui, mais ceux-ci n'en sont pas
moins comptés.